20 juin 2024
Chacun des trois mythes racontés par les enfants est l’occasion d’une parenthèse enchanteresse dans le propos lourd de la pièce.
A Caen ? O Future
Comme chaque saison, le théâtre de Caen présente une production dédiée à la Maîtrise de Caen. Il s’agit cette fois d’une création mêlant les mondes pour alerter sur l’état du nôtre.
Photos © Théâtre de Caen / Philippe Delval
D’abord, cette Maîtrise de garçons français est associée à un chœur de filles américaines venu de San Francisco (le San Francisco Girls Chorus dirigé par Valérie Sainte-Agathe) pour l’occasion, chacun chantant dans sa langue dans une polyphonie linguistique. Ce mélange inclut même le public qui conclut l’opéra en chantant la morale de l’histoire avec les artistes en scène et en loge. Autre rencontre des univers, et comme le théâtre de Caen l’avait déjà fait pour le Ballet royal de la nuit, l’art circassien vient apporter sa magie, son merveilleux, au théâtre musical. Bernard Kudlak, fondateur du Cirque Plume, est en effet chargé de la mise en scène, tâche pour laquelle il s’associe à sa fille, Alice Kudlak, qui signe aussi le livret de l’œuvre dans une sorte de relai générationnel.
Ce livret est une sorte de conte, avec sa poésie, ses messages parfois forts, parfois naïfs. Deux enfants correspondent par messagerie interposée depuis deux bouts de la terre : dans une sorte de transe, une jeune fille (surnommée l’Oracle) prédit la fin du monde. Les enfants décident de se réunir (grâce à une télétransportation, moins polluante que l’avion) pour chercher des solutions au réchauffement climatique. Ils puisent alors leur inspiration dans des mythologies anciennes, et concluent (sans réel enchainement logique ni transition) que la solution est dans l’union, la solidarité et l’amour. Tout au long de ce récit, les protagonistes franchissent le rideau du réel dans un sens et dans l’autre, passant d’un réalisme brutal à un onirisme poétique.
Le compositeur Thierry Pécou (en résidence au théâtre de Caen) imagine une musique, souvent figurative, aux nombreuses influences (musiques du monde ou pour enfants, pop, classique ou religieuse) pour accompagner ce récit. Son écriture est pensée pour son Ensemble Variances de neuf musiciens, dont une guitare électrique qui apporte sa modernité ou une flûte qui chuchote avec les enfants. Chacun des trois mythes racontés par les enfants est l’occasion d’une parenthèse enchanteresse dans le propos lourd de la pièce : trois circassiens y opèrent leurs enchantements. Le premier construit une structure de bâtons de palme, les uns tenant par les autres, et qui symbolisent la fragilité des équilibres de la nature (une petite brindille en est retirée et toute la structure s’effondre), le second voltige sur une corde aérienne, quand la troisième tournoie dans les airs sur un trapèze.
La baguette est confiée à Olivier Opdebeeck, Directeur de la Maîtrise qu’il encadre pour la dernière fois avant de partir à la retraite après 20 ans de service. Les enfants apportent leurs voix justes, lumineuses et vibrionnantes, ainsi que leur énergie, leur assurance et leur fraicheur à ce récit. Le cri d’angoisse de l’une des jeunes filles, refusant que son avenir soit hypothéqué pour répondre à des besoins aussi futiles que des baskets neuves à la mode, est notamment saisissant. Ils démontrent également leur technique, l’écriture vocale qui leur est confiée regorgeant de complexités. Présents au plateau durant la quasi-totalité du spectacle, ils ne sont pas sollicités que pour chanter : ils jouent la comédie, tapent des mains, des pieds, de la langue, sur des rythmes pas toujours simples.
Le public donne de la voix dans son intervention finale, chantant avec une conviction croissante, dans un grand déluge de couleurs vocales. Les nombreux artistes, de tout âge, peuvent alors venir recevoir des applaudissements mérités.
Damien Dutilleul