May 25, 2024
Assis ou debout, nous suivons leurs déplacements tout en nous laissant pénétrer tant par leurs réflexions philosophiques que par l’espace acoustique d’un cérémoniel qui se clôt sur la vibration d’un ensemble harmonieux de bols chantants tibétains.
Méditation en Normandie
Opéra en déambulation de Thierry Pécou à Rouen
Stalker (© DR)
Stalker
À peine sorti des effluves de l’Inde fantôme dans l’album Sangata (voir ici) de Thierry Pécou, le voyage reprend cette fois in situ avec Stalker, l’« opéra en déambulation » créé à Rouen dans le cadre du festival Normandie Impressionniste et de Curieux Printemps. Coiffé d’un casque, le public – une centaine de personnes – est invité à suivre les pérégrinations de trois figures inspirées du célèbre film de Tarkovski (1979)… dans l’immensité d’un des lieux les plus exceptionnels de Rouen, l’abbatiale Saint-Ouen, vaste vaisseau du gothique rayonnant avec ses trente-trois mètres de hauteur, inondé par la lumière des nombreux vitraux. Ni opéra ni musique de chambre, ni même installation, Stalker s’apparente plutôt à une dramatique radio dans un espace naturel, qui s’ouvre par le bruit du vent, les cliquetis d’objets mystérieux et l’aboiement d’un chien. Méditation sur la lente agonie du genre humain à la recherche d’une Zone ou Chambre mystique qui exaucerait les vœux les plus secrets, le spectacle apparaît dans l’adaptation de Blondel et la musique de Pécou comme une rêverie mélancolique dominée par la lenteur et la dissolution du temps propres aux images de Tarkovski, excepté plusieurs passages vifs et rapides où le texte est distribué à un rythme frénétique aux protagonistes effarés. La clarté du chant, même lorsqu’il s’emballe, fait d’ailleurs songer à La Conférence des Oiseaux de Michael Levinas (1985), dont le thème du voyage vers l’inconnu se rapproche de celui du roman de science-fiction qui inspira le Russe. Loin du style romantico-spatial de la partition d’Artemiev pour le film de Tarkovski, le Français conjugue les sons naturels de la clarinette, du saxophone et du violon aux sons échantillonnés du clavier et du saxophone numériques pour une partition chambriste métamorphosée et amplifiée de timbres électroniques. Emmenés par Stalker, guide arpenteur de la Zone confié à Anne Warthmann, les deux barytons, Vincent Vantyghem (Le Professeur) et Sébastien Brohier (L’Écrivain) nous immergent dans un décor minimaliste de miroirs sombres, d’arbres stylisés et de tour métallique. Assis ou debout, nous suivons leurs déplacements tout en nous laissant pénétrer tant par leurs réflexions philosophiques que par l’espace acoustique d’un cérémoniel qui se clôt sur la vibration d’un ensemble harmonieux de bols chantants tibétains.
Franck Mallet