La Croix

26 mars 2018

La création à New Delhi de cette œuvre inédite de Thierry Pécou est le fruit de la volonté de plusieurs acteurs institutionnels et associatifs franco-indiens.

L’aventure de Sangâta

Par Jean-Claude Raspiengeas

La création à New Delhi de cette œuvre inédite de Thierry Pécou est le fruit de la volonté de plusieurs acteurs institutionnels et associatifs franco-indiens.

Lancer des passerelles entre les cultures. Tendre des ponts entre les continents. Nouer des échanges féconds et fertiles. L’aventure de la création de Sangâta, du compositeur Thierry Pécou, a pu voir le jour grâce au concours de plusieurs institutions.

L’Alliance française de New Delhi et l’association Kalasetu ont lancé, depuis plusieurs années, le programme In Chorus, plate-forme créative pour jeunes artistes qui réunit musiciens français et indiens, tous genres confondus, autour de projets croisés. In Chorus propose des résidences et des échanges entre l’Inde et la France dont l’aboutissement se traduit rituellement par un spectacle à l’auditorium de l’Alliance française.

Jean-François Ramon, son directeur (venu de l’Arsenal de Metz) explique sa volonté de soutenir la jeune génération : « En Inde, la musique classique est dominée par de grands noms qui jouent le rôle de gourous mais ne laissent que très tardivement la place à leurs disciples. Très respectueux de cette tradition, leurs élèves tardent à s’émanciper. Nous cherchons par ce programme à préparer l’avenir. Pour gagner leur vie, beaucoup de musiciens sont obligés de partir à Mumbai pour travailler à Bollywood, la méga industrie cinématographique. C’est une réalité bien acceptée. La plupart des musiciens ne souffrent pas de cette dichotomie entre le divertissement populaire et la musique classique. »

Un engouement pour l’Inde à réactiver

Jean-François Ramon veut faire connaître en France la musique indienne. « Porté par la mode hippie et de grands maîtres (le cinéaste Satyajit Ray, le musicien Ravi Shankar…), l’engouement pour tout ce qui touchait à l’Inde dans les années 1970 est ensuite retombé. J’aimerais que l’on s’intéresse de nouveau à la créativité si inspirante de ce pays. »

In Chorus tend à montrer que la mondialisation culturelle renouvelle l’écriture musicale. Kalasetu« le pont des arts », a été fondé par deux chercheuses en anthropologie sociale (Ingrid Le Gargasson) et musicologie (Jeanne Miramon-Bonhoure), passionnées par les arts de la scène indiens.

En préparant sa thèse sur la flûte bansuri, Jeanne Miramon a découvert « un gouffre » entre ce qu’on lui avait appris et la réalité. « On m’avait enseigné que la musique indienne n’était qu’improvisation, entourée d’encens et de fleurs. Sur place, j’ai découvert une musique complexe, très hiérarchisée, où l’improvisation obéit à des règles assez strictes. Une musique de tradition orale, enseignée du matin au soir au sein de dynasties familiales, où le chant est omniprésent. »

Fondateur du groupe Variances (dont le nom lui a été inspiré par les écrits d’Edouard Glissant, terme mathématique détourné pour revendiquer l’aspiration à la diversité), Thierry Pécou« attiré depuis longtemps par l’Inde mais intimidé », ne pouvait qu’être sensible à sa tradition orale, source d’inspiration de ses compositions. « Rétif à la pensée dominante post-sérielle à la fin de mes études au Conservatoire de Paris, je ne me sentais pas en phase avec la dogmatique boulézienne qui régnait à l’époque. Je me suis tourné vers les traditions orales pour m’écarter du formalisme occidental. »

C’est en découvrant l’œuvre de l’écrivain et poète martiniquais Édouard Glissant que Thierry Pécou, lui-même d’origine martiniquaise, a compris ce qu’il cherchait : « Je lisais Glissant, enthousiasmé, comme s’il était le théoricien de ma musique. Avec son concept du Tout-Monde qui définit la multiplicité imprévisible de toutes nos singularités, je retrouvais le sens de mes compositions. Offrir et recevoir, en acceptant l’opacité de nos différences, sans rien imposer à l’Autre. »

Sangâta, ce terme musical indien qui évoque l’échange et la réciprocité, Thierry Pécou le traduit par « être ensemble ».

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